Le « magical mystery Tour » des faux Black Blocs à Gènes

par Wu Ming 1 (22/07/2001)

Nous ne devons pas criminaliser les BB ou accuser les anars pour les évènements de Gènes qui correspondent peu à leurs tactiques ; il est encore plus évident que les pillards les plus archarnés étaient des flics déguisés.

J'étais à Gènes et j'en reviens crevé, énervé, déçu, fiévreux avec les ligaments de mes genoux détruits et complètement aphone, et je dis : ne tapez pas sur les anars, ne criminalisez pas le Black Block.

C'est notre devoir de faire la distinction entre le BB et ce qui est arrivé à Gènes. C'est notre devoir de ne pas accuser tous ceux qui ont fait de l'action directe à Gènes d'être des flics déguisés. Les pogroms et les théories du complot ne font pas partie de notre culture.

Vendredi dernier, il y avait des anars allemands du Schwartze Block. Ils ont frappé des cibles précises comme des banques ou des bureaux officiels. Ils n'avaient pas l'intention d'attaquer d'autres manifestants. Samedi, un journaliste hollandais du Vrij Neederland magazine les a rencontrés alors qu'ils étaient en train de plier bagage et peut-être de rentrer en Allemagne. Ils ont dit qu'ils étaient dégoutés de ce que les « hommes en noir » avaient fait. En fait, ce qui s'est passé samedi a peu à voir avec les méthodes du BB : les BB ont une méthode. On peut la désapprouver mais ils en ont une, et ils savent mener des actions de leur côté sans géner d'autres types d'interventions. Au contraire, à Gènes, les carabiniers ont escorté les pillards tout le long de la journée, sans les charger, non parce qu'ils étaient rapides ou mobiles, comme quelqu'un l'a dit. Non, ils ont eu tout le temps
d'attaquer les banques, les saccager et les brûler, une opération qui nécessite plus d'un quart d'heure. Pendant ce temps, les flics glandaient dans la rue, les attendant. Quand les pillards sortirent, le magical mystery Tour commença. Les flics accompagnèrent tranquillement les pillards aux endroits où les autres manifestants (appartenants au GSF) se trouvaient, comme s'ils promenaient leurs chiens. Il y a des centaines de témoignages.
Tout le long du chemin, les hommes en noir ont attaqué des petits magasins, ont brûlé des voitures qui n'appartenaient certainement pas à des millionnaires, et détruits des petites stations service. Puis ils furent « détachés » dans un square où des centaines de membres du réseau Lilliput faisaient un sit-in. Les flics les suivirent et frappèrent femmes et enfants, boys scouts, manifestants pacifiques.

Les flics et les pillards partirent et rejoignirent le centre de convergence Place Kennedy. Les flics donnèrent l'assaut à la place, après la « joyeuse bande » se dirigea vers Brignole et rentra dans le cortège des « désobéissants », qui étaient encore loin de la zone rouge. Les flics chargèrent la manif. Pendant ce temps, les faux BB pénétrèrent dans le cortège des Tute Bianche et assaillirent quelques camarades. Un très gros camarade du squatt de Venise « Rivolta » a été frappé par un mec très calé en arts martiaux. Après ça, les flics ont attaqué la manif durant sept heures, alors que les gens tentaient de rentrer au stade Carlini. La dernière attaque se produisit 600 mètres avant le camping. Les hommes en noir avaient complètement disparu. Cela n'a rien à voir avec la praxis des BB. En fait, beaucoup de gens ont vu ces faux hommes en noir descendre des cars de flics, les pillards discuter avec des officiers, les flics donner des plans aux faux hommes en noir etc. La presse rapporte ces théories et la télé nationale en montre des images choquantes.

Le 19 juin, après Gothenburg, les Tute Bianche de Bologne et le Collectif Wu Ming ont mis en circulation un document intitulé « Arrétons l'encerclement du Black bloc ». Le voici :

 
« Le Black Bloc n'est pas de la merde. Il ne doit pas être trivialement associé avec le vandalisme ni la destruction gratuite. C'est un réseau informel de groupes affinitaires, majoritairement - mais pas
exclusivement- anar et qui s'étend de l'Amérique du nord à l'Europe continentale. Ils sont actifs depuis des années, élaborant des stratégies et des tactiques, et prennent en compte les contextes, les alliances et les objectifs. Il devrait être clair que le BB n'a jamais manifesté en Italie. Ainsi que le prouve l'histoire récente du mouvement, les BB ne sont pas statiques, peuvent adopter plusieurs tactiques et cherchent la « fertilisation croisée » comme ils l'ont fait à Québec durant la manif contre le Sommet des Amériques. A ce moment, ils ont agit en respect total avec la ville et les habitants, et concentré leurs efforts à faire tomber le « Mur de la honte ». Ils ont même choisi de reprendre les symboles et les pratiques des Tute (protections, boucliers, positions.) et ont coopéré avec les autres groupes affinitaires dans les rues. A Gothenberg, le BB a parlé avec les Tute Bianche et ils décidèrent de faire des actions dans un cadre commun avec des manifestants pacifiques. Les problèmes ont commencé quand les porte-paroles et les coordinateurs ont été « préventivement » arrêtés durant le raid de jeudi soir. Le matin suivant, les flics ont coupé la manif en deux et isolé un groupe qui a été étiquetté BB. Ces manifestants ne pouvaient que se défendre en jetant des pierres et quelques magasins furent cassés [.] La répression policière fut la plus forte à un moment apparemment tranquille : vendredi soir, quand les flics encerclèrent un parc où des centaines de jeunes avaient organisé une rave. Ils ont attaqué la rave, qui a essayé de résister de façon peu esthétique (on ne peut pas toujours avoir du style), et la police a tiré. La rave n'était certainement pas organisée par le BB. Les BB sont des activistes politiques, on peut être en désaccord avec leur praxis et idées, mais nous ne les considérons pas comme des chiens pavloviens sans cervelle bavant à la vue des matraques. En plus, ils sont plus imaginatifs que les gens se l'imaginent : il y a quelques mois les BB quittèrent une manif à Buffalo, entrèrent dans un quartier pauvre et ramassèrent les ordures. Quand les journalistes leur demandèrent ce qu'ils faisaient, ils répondirent : « vous écrivez que nous allons salir la ville, nous avons décidé de ramasser les ordures » Nous témoignons de l'existence d'une tentative sérieuse de criminaliser ce mouvement. Nous refusons de sauver notre peau sur le dos du BB, nous les
considérons comme une composante légitime du mouvement et refusons la distinction entre bons et mauvais manifestants. »
Tute Bianche de Bologne/Wu Ming


Mon opinion n'est même pas une opinion, parce qu'elle est étayée par les témoignages et les images : vendredi dernier, six ou sept infiltrés ont manipulé la rage de centaines de jeunes anars. La même chose a dû se produire samedi. Nous avons décidé à contre-cour de garder loin de notre cortège les gens avec des pierres et des barres. Nous avons sûrement évité l'infiltration de ceux qui nous traitent de flics et qui sont des flics eux-mêmes. Peut-être qu'on s'en est pris à des mecs qui n'y étaient pour rien, qui sait ? Si c'est le cas, nous en sommes désolés mais nous devions défendre nos choix et éviter les infiltrations et provocations. Un BB a dit à un copain de Wu-Ming : « Tu aimes donner des ordres. T'es un communiste ! » Oui, ça fait mal. Mais je peux vous assurer que nous n'aimons pas donner des ordres.

Avant de commencer la chasse aux sorcières, nous devons garder en tête que tous les anars ne sont pas des BB, que tous les BB ne sont pas des flics déguisés. D'un autre côté, nous devons repenser une tactique qui a pu être infiltrée et manipulée si facilement. Cela concerne les gens qui ont choisi cette ligne d'action mais aussi ceux qui ont souffert de cette perméabilité.
 

[ Traduction samizdat.net à partir de l'anglais ]


Répression et géométrie euclidienne

par Wu Ming 4 (25/07/2001)

Une fois refermé le piège militaire de Gênes, les théorèmes commencent. Le gouvernement montre son vrai visage : après avoir donné carte blanche aux carabiniers dans la gestion « argentine » de la rue génoise, maintenant, il les couvre et les justifie sur toute la ligne. Au parlement le ministre de l'Intérieur Scajola a montré du doigt les tute bianche. Pratiquement, il a soutenu que la mouvance de la désobéissance civile serait l'anneau de conjonction entre les pacifistes non-violents et le black blocanarchiste ; en  somme des gens qui jouent double jeu en se faisant passer pour des gentils, mais qui en réalité visent l'insurrection violente. Luca Casarini est sur les lèvres de tous les sbires du centre-droit, mais le discours vaut pour nous tous : ce qu'ils veulent démontrer, c'est qu'il existe des « mauvais maîtres » (pour le centre-droit) et de dangereux « camarades qui se trompent » (pour le centre-gauche). Ce n'est pas une blague, ces mots ont été précisément utilisés au parlement, on a l'impression d'être revenu en arrière de vingt-cinq ans en quarante-huit heures. Mais si dans cette affaire, il y a des responsables bien évident, à savoir les directions des carabiniers, de la police et des services secrets italiens, et un complice qui les a couverts, le gouvernement, il est vrai aussi qu'il y a des gens qui étaient de mèche. Ils ont une identité précise : ce sont les dirigeants de l'Olivier. (la coalition de centre-gauche, d'où émanait le précédent gouvernement, N.D.T.)

Dans la soirée de vendredi, après qu'à Gênes, il y a eu un mort, les DS (démocrates de gauche) et Rutelli ont littérallement VENDU le GSF et les dizaines de milliers de manifestants en train d'affluer à Gênes, comme de la viande de boucherie. Les hautes sphères de l'Olivier doivent avoir reçu un coup de fil avec une communication très simple : les carabiniers n'allaient pas s'arrêter, samedi se passerait comme vendredi, c'est-à-dire qu'il y aurait un massacre indiscriminé.

Donc il valait mieux qu'ils n'envvoient pas leurs adhérents dans la rue et qu'ils abandonnent toute hypothèse d'adhésion à la manifestation. Et c'est ce qu'ils ont fait. Le président de la république Ciampi a dû recevoir le même coup de fil vu que, avec un certains sens tordu de la responsabilité que lui impose sa charge, il s'est empressé de conseiller aux Italiens de ne pas aller samedi à Gênes. Les gens de la DS, qui à ce moment venaient juste de décider de participer à la manifestation, ONT RETIRÉ LES TRAINS SPECIAUX ET LES AUTOBUS, ABANDONNANT LES MANIFESTANTS AUX MAINS DES CARABINIERS incontrôlés et justifiant ainsi non seulement l'attaque indiscriminée de vendredi, mais encore les représailles chiliennes de samedi. Les témoins de ce qui s'est
passé le 21 juillet sont (par chance) plus de deux cent mille : des charges répétées avec gaz urticans, matraques, blindés et autopompes, sur un cortège inoffensif de gens ordinaires. C'est un pur hasard si les morts de Gênes ne se comptent pas par dizaines. C'est depuis l'époque de Scelba qu'en Italie on n'assistait pas à une chose de ce genre. Pour ne pas parler du raid nocturne sanguinaire sur l'école Diaz et des tortures subies par TOUS les interpellés et les arrêtés.

Aujourd'hui, l'Olivier demande la démission de Scajola pour incompétence, mais cela fait partie du petit jeu politique des partis. La vérité est que vendredi, d'Alema et Rutelli ont décidé de sacrifier le GSF pour pouvoir survivre. Depuis des mois, il est clair aux yeux de tous, qu'en ce moment historique, le Genova Social Forum est l'unique réel sujet de gauche existant en Italie. Sa criminalisation par le gouvernement pour avoir « couvert » les violents peut finalement bien arranger l'Olivier : de cette manière, on cherche à contraindre le reste du GSF à prendre ses distances avec les tute bianche ; le fossé entre le monde des associations et celui de l'antognisme social qu'on n'a pas réussi à créer avant les journées de Gênes, on tente maintenant de l'imposer par la force des mensonges. D'Alema et Rutelli sont disposés à « distinguer » entre les deux âmes du GSF, en sauvant les associations pacifistes qu'on peut ramener sous leur aile, et en laissant en pâture à Fini et à Berlusconi les centres sociaux.

S'il est de fait difficile de faire passer les gens du commerce équitable et solidaire, de l'Arci (associations de cercles culturels de gauche) et de Lila (équivalent de Aides) pour des terroristes, il n'est pas difficile de mettre les centres sociaux et les « désobéissants » au centre de la cible. Il suffit en effet de les dépeindre comme des gens « qui jouent double jeu ». Ce sont les tute bianche de Casarini and co les cibles idéales, en tant que pointe antagoniste la plus avancée du GSF et du mouvement, du fait qu'avec la désobéissance civile, ils ont réussi ces deux dernières années à pratiquer le conflit de rue en maintenant un haut niveau de consensus, en démontrant entre autre une capacité incroyable d'utiliser les mass médias. Ce sont les tute bianche maintenant qui doivent être sacrifiées sur l'autel de la petite vie tranquille des deux tendances politiques de ce pays. Il n'y a rien à faire : ce pays ne peut se permettre l'existence de mouvements.

Est-ce qu'il se prépare un autre 7 avril ? Difficile de le dire. Espérons que non. Mais après ce qui s'est vu à Gênes, on ne peut plus s'étonner de rien.
La réplique de masse du 24 juillet, qui a vu des dizaines de milliers de personnes dans les rues de toute l'Italie est réconfortante et donne à croire que ce deuxième piège ne fonctionnera pas. Mais attention à ne pas baisser la garde.

Il y a un grand motif de satisfaction, dans la tragédie. S'ils ont décidé de mettre sur pied un tel niveau de répression, cela signifie que ce mouvement global fait peur, par son extension géographique et par son hétérogénéité. La stratégie de l'Etat est toujours la même : favoriser les franges forcenées, les désespérés, faciles à infiltrer, les lascars éclatés des banlieues, pour qu'ils prennent le dessus sur les âmes intelligentes du mouvement. Un piège dans lequel nous sommes tombés à Gênes, et dont maintenant, nous devons sortir au plus vite. Et je crois aussi que c'est notre unique possibilité d'échapper au régime en train de s'instaurer dans ce pays.

NB : il faut être clairs dans la condamnation des pratiques du BB comme inutiles et dommageables pour le mouvement. L'expérience du BB n'est pas une expérience intéressante, et même, dans cette phase - avec ou sans infilitrés- elle est dommageable pour nous et conforte les jugements
qualunquistes et permet de faire feu de tout bois. Il est juste de dire la vérité sur les BB et de ne pas tomber dans de faciles criminalisations ou chasses à l'anarchiste, mais sans jamais oublier que le choix des pratiques « destructrices » est un choix qui a démontré son caractère dangereux, parce qu'il a permis l'infiltration flicarde et l'agrégation des bandes de jeunes déconnants qui se foutent éperduement de tout et veulent seulement tout casser, permettant ainsi à l'Etat de jeter de la merde sur tout le monde et de déchaîner des représailles indiscriminées.

LES EVENEMENTS DE GENES (infiltrations, dévastations, saccages) SIGNENT LA MORT EFFECTIVE DU BLACK BLOC COMME EXPERIENCE « POLITIQUE » QUI S'EST DETERMINEE A PARTIR DE CERTAINES PRATIQUES. Aucune indulgence pour les idiots utiles qui se sont fait utiliser par l'Etat et par les forces de l'ordre CONTRE le mouvement. Ils ont une responsabilité très grave justmeent pour le rôle nuisible qu'ils ont eu. Dans le moment où les pratiques des BB ont été
utilisés par l'Etat contre nous, nous devons dire avec force qu'aujourd'hui ces gens-là sont en tous point politiquement morts. Et s'ils avaient un peu d'intelligence, ils devraient être les premiers à faire un examen de conscience et à SUICIDER une expérience qui, répétons-le, à Gênes s'est DE FAIT terminée.

[Traduit par SQ, qui ne partage pas toutes les positions exprimées (en particulier par rapport au BB)]